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Mémoire de recherche en Master 2 : Le vêtement à la cour de Louis XV.

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Mémoire de recherche en Master 2 : Le vêtement à la cour de Louis XV. Empty Mémoire de recherche en Master 2 : Le vêtement à la cour de Louis XV.

Message par A. de Kerfadec Lun 25 Fév 2013 - 22:30

Marie Chiozzotto
Diplômée en histoire de l’art et en gestion des sites du patrimoine, Marie Chiozzotto s’est orientée vers l’étude de la culture vestimentaire.
Elle a consacré l'année dernière un mémoire de recherche de Master 2 en Histoire de l'Art
sur... les apparences vestimentaires de Louis XV pour l’année 1772 !
Elle prépare actuellement une thèse sur les garde-robes royales de Louis XV et Louis XVI de 1765 à 1786.

Je vous invite à découvrir ses travaux.
Je partage, c'est autorisé, par contre, c'est long...mais quand on aime, on ne compte pas. cheers

A propos des sources:
"La série de documents comptables provenant de la Garde-robe royale et conservée aux Archives Nationales est une source remarquable et inédite sur la culture vestimentaire curiale de l’époque moderne. L’analyse du corpus concernant l’année 1772 permet de reconstituer le contenu du vestiaire de Louis XV et d’identifier les acteurs de l’apparence royale. Un très grand nombre de pièces, habits habillés, habits-uniformes mais aussi manteaux et robes de chambre est commandé sur l’année. Toutes sont marquées par le luxe et la diversité de l’ornementation, des étoffes et des coloris. Quant au linge et aux accessoires, ils sont confectionnés dans les matières les plus nobles. La garde-robe du souverain répond à deux exigences, l’ostentation et le luxe qui définissent le statut du roi, et le respect du cérémonial de la vie de cour. Le faste de la parure royale participe ainsi pleinement à l’élaboration des signes de distinction de Louis XV, souverain parmi les courtisans."

"Dans la société de cour à l’époque moderne, la présentation de soi est le reflet du statut de l’individu. En s’intégrant dans la représentation du rang et la concurrence aux signes de prestige, les manières de se vêtir constituent une composante essentielle de ce système. Elles définissent les identités distinctives du prince et du courtisan. Si la culture des apparences vestimentaires a pu être étudiée pour la ville de Paris au XVIIIe siècle par Daniel Roche, très peu d’enquêtes ont été menées pour la cour à la même époque. Les Court studies, si l’on excepte l’ouvrage de Philip Mansel consacré aux rapports entre pouvoir et paraître, laissent souvent de côté les questions liées à la vêture, particulièrement en France. Quant à l’histoire du costume, elle s’intéresse essentiellement à l’évolution des formes et des matières, négligeant la fonction socio-culturelle du vêtement. Ainsi, la culture vestimentaire curiale est un domaine encore à peine exploré pour l’époque moderne, particulièrement en ce qui concerne la composition des garde-robes royales. La connaissance de celles-ci souffre d’énormes lacunes documentaires dès la Renaissance. Très peu de sources écrites nous sont parvenues. Les collections muséales ne conservent aucune pièce vestimentaire ayant appartenu aux souverains. Les sources iconographiques représentent généralement les monarques dans des costumes de sacre ou en habit de guerre, symbolisant leur puissance et leur rang, et non dans leur apparence quotidienne. Cela est particulièrement le cas pour Louis XV, notamment dans ce portrait peint par Maurice Quentin de La Tour, où le roi est vêtu d’une cape fleurdelisée, doublée d’hermine, et d’une armure.

Portrait de Louis XV Le Bien Aimé en armure, Maurice Quentin de La Tour, vers 1740-1750, Pastel, Musée du Louvre, Paris.
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Nous disposons cependant, pour le XVIIIe siècle, d’une série de documents comptables manuscrits provenant du service de la Garde-robe royale pour la fin du règne de Louis XV (1765-1774) et pour celui de Louis XVI jusqu’en 1786. Conservé aux Archives Nationales à Paris dans la série des papiers du Grand chambellan de la cour, ce corpus documentaire unique dont l’exploitation n’en est qu’à ses prémisses, n’a pas d’équivalent pour les reines de France ou pour les souverains antérieurs. Composé principalement de mémoires de factures acquittées de fournisseurs, il permet une analyse de l’ensemble des pièces vestimentaires commandées pour le roi par le biais de l’institution curiale dévouée à sa vêture. Ces documents révèlent les formes, parfois l’utilisation qui en sera faite, le nombre et le coût et offrent ainsi au chercheur la possibilité d’étudier la garde-robe royale sous différents aspects. Les apparences vestimentaires au sens strict sont définies par les matières, les couleurs et les motifs, mais l’examen des comptes atteste aussi de la place du paraître au sein de la Maison du roi et de l’importance du marché du luxe parisien. L’utilisation de ce corpus est donc passionnante mais présente quelques écueils. D’une part, il est délicat de raisonner sur une pièce, de l’achat de l’étoffe à la livraison, tant les intervenants sont nombreux et les descriptions variées. Les mémoires, rédigés par fournisseurs, désunissent une même tenue et la reconstituer avec certitude s’avère bien souvent difficile. D’autre part, l’analyse aussi bien quantitative que qualitative des éléments de la garde-robe, exige minutie et prudence face à l’abondance des informations et les lacunes, avérées ou non, de la source.

(Pour l’étude du vestiaire de Louis XV, le choix de l’année 1772 est déterminé par le fait qu’elle est une des années les plus complètes sur la vingtaine conservée. Tout ne pouvant être évoqué, l’aspect économique, objet d’une recherche ultérieure, sera mis de côté, afin de se concentrer sur le contenu de la garde-robe du souverain. Quelles étaient les apparences vestimentaires de Louis XV au sein de sa cour alors que le roi est âgé de soixante-deux ans ? Que portait-il, en quelle quantité et en quelles occasions ? En tentant de répondre à ces questions qui n’ont jusque-là jamais été posées, il s’agit de mettre en lumière la richesse que constitue cette série documentaire dans le domaine de la culture vestimentaire curiale, et de souligner l’intérêt de l’analyse de la garde-robe des rois de France, dans le fonctionnement de la cour et de ses règles internes.)

Cet article s’ouvre sur une présentation succincte du service de la Garde-robe et des fournisseurs, acteurs de l’apparence royale. Les principales pièces vestimentaires commandées, notamment l’habit habillé et l’habit uniforme, seront ensuite analysées à travers leurs formes et leurs utilisations. L’illustration du luxe du vestiaire de Louis XV se fera par l’étude des broderies, des étoffes et des couleurs, avant de s’arrêter sur l’abondance du linge et des accessoires recensés dans les mémoires de factures acquittées.

Les acteurs de l’apparence royale
Les apparences vestimentaires de Louis XV sont à considérer tout d’abord sous l’angle de ceux qui les constituent. Il est indispensable d’aborder cette organisation complexe et hiérarchisée, pour bien se représenter les exigences liées au paraître du roi. Le corpus documentaire permet ainsi de définir le rôle et les tâches qui incombent à chacun. Le service de la Garde-robe royale passe commande et entretient les effets du souverain. Le réseau des marchands confectionnent et livrent les pièces.

(La charge de grand maître de la Garde-robe reste dans la famille de La Rochefoucauld de 1672 à la fin de l’Ancien Régime. En 1772, la place est occupée, depuis quatorze ans, par Louis François Armand de La Roche Roye, duc d’Estissac (1695-1783), beau-fils du précédent grand maître, le duc Alexandre de La Rochefoucauld.)

( Le premier gentilhomme de la Chambre récupérait les robes de chambre de l’année précédente et le grand maître de la Garde-robe se voyait octroyer toutes les autres tenues. Il en distribuait une partie aux valets de la Garde-robe parfois aussi aux garçons.)
(Le trésorier, quant à lui, est chargé de régler toutes les sommes dues10. Tous les ans, le service de la Garde-robe remplace la totalité du vestiaire royal. Des commandes sont passées aux différents fournisseurs durant toute l’année, pour renouveler entièrement les habits, le linge et les accessoires. Cette pratique explique la multiplication des pièces rencontrées dans les mémoires de factures acquittées, les sommes importantes (près de 126 000 livres pour 1772) dépensées chaque année par la Garde-robe et les rapports continus entre celle-ci et certains marchands.)

(À partir des vingt-quatre mémoires de factures acquittées datant de 1772, soit vingt-quatre fournisseurs, nous recensons dix-neuf métiers différents. Le tailleur parisien Charles Le Duc tient une place particulière au sein de l’organisation de la Garde-robe. Il est le seul fournisseur à détenir un office de cour, celui de tailleur ordinaire du roi. Son statut de commensal lui accorde le privilège de résider à Versailles et de recevoir des gages. L’ensemble des fournitures nécessaires à la réalisation des vêtements royaux lui est livré et il a la tâche de monter les tenues du souverain de la manière la plus harmonieuse et élégante possible. Il fournit pour chaque vêtement tout un ensemble de mercerie, de petites pièces, de toile et de drap en faible quantité. Les tissus sont achetés en grande majorité aux marchands d’étoffes. Ce terme s’emploie généralement pour désigner les marchands qui proposent les tissus les plus luxueux. Dans la deuxième moitié du siècle, le marchand d’étoffes est un acteur puissant de l’apparence, un arbitre du goût. Son rôle est de choisir les matières, les couleurs et les motifs d’une étoffe, dont l’aspect est primordial puisque la coupe du vêtement masculin, plus ou moins figée, ne permet pas de se distinguer. Son commerce est risqué en raison des sommes à investir mais il est aussi très lucratif. Pour le service du souverain, ce sont les plus renommés de Paris qui traitent avec la Garde-robe. Le Normand et Cie procure essentiellement des étoffes de soie, parfois déjà toutes brodées. Barbier, un des marchands les plus riches de la capitale, livre la plupart des étoffes d’or et d’argent, du velours, de la moire, de la lustrine. Les marchands drapiers, les frères Cavillier fournissent tous les draps de laine. À leur suite vient le fournisseur de toiles et de dentelles Vanot qui a la charge du linge du roi, hormis les bas dont la réalisation est confiée au bonnetier Rouvierre. Corvosier est le dernier marchand de tissus mentionné dans les mémoires. Il ne s’occupe que des doublures de soie pour les vêtements et ne livre que du croisé blanc.)

(Afin de confectionner une tenue complète digne du souverain, un tailleur et cinq marchands de tissus ne suffisent pas. Dans les métiers de la parure de luxe, ceux liés à l’ornementation et aux accessoires sont tout aussi indispensables. Pour l’année 1772, la Garde-robe commande à trois brodeurs différents dont le principal est le sieur Trémeau. Nous recensons un marchand de galons, Boursier qui livre des galons, des cordonnets ainsi que des boutons ou des croix du Saint-Esprit ; un boutonnier, Doucet ; et un rubanier, Jeson. Neuf fournisseurs se chargent des accessoires dont Ruelle, le chapelier qui apprête les laines et forme les couvre-chefs, Lescuyer et Donnebecq, les panachers qui livrent les plumets, la veuve Huet, gantier-parfumeur, Lulier, le cordonnier et Waltrain, le bottier. Ce sont là les principaux marchands mais nous pouvons aussi mentionner la présence d’un guêtrier, d’un ceinturier, d’un fourbisseur, d’un bijoutier-émailleur ou encore d’un pelletier-fourreur, autant de métiers nécessaires au paraître vestimentaire du souverain. Ces fournisseurs privilégiés s’organisent en réseau afin de réaliser les commandes passées au nom du roi. Boursier, les frères Cavillier et Le Duc participent à la confection des uniformes de chasse et de résidence. Pour les habits habillés, le tailleur travaille principalement avec les marchands d’étoffes, Trémeau le brodeur, Corvoisier pour les doublures de soie et Doucet pour les boutons. Ces échanges sont facilités par le fait qu’au moins une quinzaine de ces fournisseurs résident à Paris et dans des quartiers où se concentre le marché du vêtement et du luxe, notamment ceux du Palais-Royal, du Louvre et des Saints-Innocents.)

(Une cinquantaine de personnes œuvrent donc au service de la Garde-robe ou en tant que fournisseurs. Les acteurs de l’apparence royale sont nombreux, leurs tâches diverses mais tous participent à la création de l’image d’exception que se doit de donner Louis XV devant ses courtisans.)

Habit habillé et habit-uniforme
Si la garde-robe participe à la distinction du monarque, l’étude de son contenu doit tout d’abord indiquer ce qu’elle a de remarquable par sa variété et les quantités présentes. Ces pièces du vestiaire royal, portées à différentes occasions, sont aussi à analyser comme objets porteurs d’informations sur la société curiale, ses rythmes, ses règles et sur la place du roi au sein de celle-ci. Afin d’étudier les différents types de vêtements commandés, le mémoire de factures acquittées du tailleur est un document précieux. Toutes les pièces vestimentaires du dessus passent entre les mains de cet homme et de son atelier pour être montées, et sont ainsi recensées. Le mémoire de Le Duc révèle les pièces maîtresses de la garde-robe de Louis XV en cette année 1772 : l’habit habillé, l’uniforme de chasse et celui de résidence, les culottes et vestes, les vêtements d’extérieur et les robes de chambre.

-La veste, appelée gilet sous le règne de Louis XVI, est un vêtement sans manche, orné d’une rangée de boutons sur le devant et porté sous l’habit. Au début des années 1770, une attention particulière est portée à ses broderies et aux étoffes dans laquelle elle est confectionnée.

Une grande majorité des tenues, une trentaine, correspond au type de l’habit complet, composé invariablement de trois éléments : veste ou gilet, habit porté par-dessus et culotte. Revêtu à la cour, il est appelé habit habillé, coupé dans de riches étoffes et souvent finement brodé. Durant cette période de transition qu’est la fin du règne du souverain, nous notons une tendance à distinguer la veste de l’ensemble, ce qui correspond à l’évolution générale du vêtement. Cependant, les pièces d’habits complets restent coordonnées. Jusqu’au milieu des années 1770, il est encore très fréquent qu’elles soient réalisées dans la même étoffe avec les mêmes ornementations. Dans le vestiaire du monarque, plus de la moitié des habits habillés est ainsi confectionnée, comme cet « habit, veste et culotte de velours mignature, fond gris rayé jaune guirlande fine mordoré et vert, petits bouquets ». Les autres se distinguent par le fait que la veste et les parements diffèrent de l’habit et de la culotte. Ce type de vêture correspond à des habits complets plus luxueux. Les étoffes d’or et d’argent lui sont réservées, les broderies y sont plus recherchées, notamment sur ces « habit et culotte de velours frisé fond gris petits pois Lilas et rayé de jaune ; veste et parements d’étoffe glacée d’or brodée en plusieurs couleurs ». Au total, seize ensembles sont simples et sans broderie. À l’opposé, six sont brodés et ont une veste et des parements plus riches que la culotte et l’habit. Ces différentes combinaisons pour un même modèle de tenue permettent de deviner une « hiérarchie » de l’habit habillé qui dépend de l’évènement durant lequel il est revêtu, le matin lors des conseils des ministres, l’après-midi lorsque ce n’est pas un jour de chasse ou bien lors des soirées d’appartements, des bals ou des réceptions d’ambassadeurs.

- L’uniforme, introduit dans les armées européennes au XVIIe siècle, est peu à peu repris dans les cours. Pierre le Grand, puis Catherine II en Russie, les souverains de Suède, Frédéric I puis Frédéric II de Prusse, adoptent tous l’uniforme, l’alternant avec l’habit habillé selon les circonstances

- L’apparition du justaucorps à brevet au début des années 1660, serait liée à la chasse et notamment aux réformes vestimentaires de la vénerie royale. Cette marque de faveur sera abandonnée progressivement vers le milieu du XVIIIe siècle, au profit des différents habits-uniformes.
Louis XV, contrairement à quelques-uns de ses voisins européens qui portent l’uniforme, est habillé en civil la plupart du temps. Durant les quelques revues militaires auxquelles il assiste, seule une écharpe blanche de commandement orne son habit. En revanche, certains usages de la vie curiale – la chasse, les séjours à Choisy – exigent un uniforme approprié.
Celui-ci est constitué des trois pièces du vestiaire masculin mais sa relative rigueur le distingue de l’habit habillé. L’ensemble est souvent coupé dans un drap, toujours de couleur unie où les broderies et les motifs sont absents. Les seules ornementations sont les galons d’or ou d’argent placés en bordure. L’habit-uniforme n’en demeure pas moins luxueux et il arrive que le roi le porte dans des circonstances officielles. Le duc de Luynes note en 1749, « Le Roi et M. le Dauphin ont reçu l’ambassadeur [M. de Saint-Germain, ambassadeur de Sardaigne] en habit de chasse. ». La chasse est particulièrement appréciée par la dynastie des Bourbon. Louis XIV, y voyant un moyen d’imposer un nouveau critère de distinction, instaure le port d’un type d’habit bien particulier, un uniforme. La permission de le porter devient alors très recherchée. Ce privilège perdure sous le règne de Louis XV, où la pratique de la chasse tient toujours une place prépondérante. Le souverain qu’il soit à Versailles ou dans ses autres résidences, s’y rend au moins trois fois par semaine, accompagné de quelques courtisans soigneusement choisis. La chasse à courre, au cerf, au sanglier ou au daim, est la plus importante et la plus fastueuse. Pour chaque animal, un uniforme spécifique, par sa couleur et son ornementation, est revêtu. La chasse au cerf peut être du petit ou du grand équipage suivant son ampleur et le nombre de participants. La tenue qui lui est associée, représentée dans un tableau de Jean-Baptiste Oudry de 1738, est composée, d’un habit toujours en drap bleu, orné de galons or et argent, d’une veste et de culottes en drap écarlate.
Par ses couleurs, cet uniforme rappelle le justaucorps à brevet, même si ce dernier était richement brodé, inventé par Louis XIV afin de distinguer certains de ses plus fidèles courtisans.
Deux ensembles de grand équipage, habit et veste, sont commandés pour le roi en 1772, ainsi qu’un habit, une veste et quatre culottes pour le petit. L’équipage de la chasse au sanglier est relativement semblable. Un seul habit complet apparaît dans le mémoire de Le Duc, l’habit et la veste galonnés d’or et d’argent. Pour l’équipage de la chasse au daim, deux habits complets de drap vert galonnés d’or sont livrés durant l’année. Le duc de Luynes écrit à propos de ce type de chasse en 1741 « il n’y a point d’uniforme pour cet équipage, le Roi lui-même n’en porte point ».
Il semble pourtant que trente ans plus tard, l’usage en sera fixé.

Cerf aux abois dans les rochers de Franchard, forêt de Fontainebleau, Jean-Baptiste Oudry, 1738, Huile sur toile, 367×661 cm, Musée du château de Fontainebleau.
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Le système de l’uniforme est appliqué, au XVIIIe siècle, à certaines résidences royales dans lesquelles le roi se rend fréquemment avec une partie de sa cour. Le duc de Luynes écrit : « On peut dire en général que hors le temps de Marly, Compiègne et Fontainebleau, et le temps du carême, où le roi voyage moins, il est rare que sa majesté demeure quatre ou cinq jours de suite à Versailles ; ordinairement son séjour dans ce lieu est de deux ou trois jours francs. Pendant le reste du temps il va à Bellevue et à Choisy, voilà les voyages les plus ordinaires ». Le mémoire de dépenses des officiers de la Garde-robe pour 1772, illustre les propos du duc. Outre les déplacements annuels à Marly, Compiègne et Fontainebleau, les voyages le plus souvent cités sont ceux de Choisy et de Bellevue. Décrits par Philippe Salvadori comme des « respirations périodiques », ces séjours sont particulièrement prisés par Louis XV 27. Le cérémonial de Versailles y est quelque peu atténué et les courtisans y sont moins nombreux. L’habit de résidence est généralement coupé dans du drap. La veste, quant à elle, peut être d’une étoffe plus fine, en gros de Naples ou en batiste. C’est essentiellement sa couleur qui distingue ce type de vêture. L’uniforme est vert, voire même « vert Choisy » comme cela est écrit chez Le Duc, et galonné d’or. Les bordés, très riches, en sont une autre particularité. Les habits sont généralement en « grands bordés », c'est-à-dire ornés d’un galon d’or très large, et les vestes sont dites « à la bourgogne ». Au total, quatre habits, cinq vestes et deux culottes sont livrés à la Garde-robe royale en 1772 pour la résidence de Choisy.

Outre ces deux types de tenue, emblématiques de l’apparence quotidienne du souverain, de nombreuses autres pièces sont livrées tout au long de l’année, notamment des éléments de l’habit complet commandés désunis. Les culottes sans habit, ni veste sont présentes en très grand nombre. Nous en relevons plus d’une cinquantaine, certainement destinées à être portées pour la chasse, la promenade ou lorsque Louis XV n’est pas à Versailles. Notons d’ailleurs sur les trente-neuf vestes mentionnées ci-dessous, dix d’entre elles sont « pour les petits voyages du roi » comme celle-ci, « de satin vert pomme brodée en paillette et chenille ». Ces vestes élégantes, toutes brodées, sont destinées aux déplacements de quelques jours dans les résidences qui ne requièrent pas le port de l’uniforme. Les étoffes ne sont pas tout à fait les mêmes que celles des vestes d’habits complets. Si certaines sont confectionnées dans un fond lamé argent, le satin ou le basin, tissus plus légers que le velours ou la lustrine sont aussi employés car mieux adaptés aux voyages de Louis XV durant le quartier d’été.

Quantité des principales pièces vestimentaires de dessus acquises par la Garde-robe royale en 1772
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Les derniers types de vêtures présents dans la garde-robe du souverain en 1772, sont les vêtements d’extérieur et les robes de chambre. Pour se protéger des intempéries ou pour remplacer l’habit par une pièce plus confortable à l’intérieur, ces éléments ne sont pas à négliger dans la consommation vestimentaire royale puisqu’ils représentent une soixantaine de pièces. La Garde-robe commande, dans des formes diverses, de nombreux vêtements d’extérieur. Le surtout qui se met sur la veste et reprend la coupe de l’habit, en constitue plus de la moitié. Confectionné dans des matières chaudes, en drap de laine durant les mois d’hiver et dans du camelot pour l’été, il est toujours de couleur grise pour l’utilisation courante. Nous trouvons aussi quelques manteaux et redingotes, des camails de velours noirs, des pardessus ou encore deux vitchouras, « vêtement garni de fourrure, que l’on met pardessus ses habits ». La robe de chambre qui rencontre un réel succès dans les vestiaires masculins du XVIIIe siècle, représente une dizaine de pièces commandées. Ce vêtement d’intérieur n’est jamais brodé que de soie ou de laine polychromes, les paillons et les paillettes de l’habit habillé en sont absents. Si la vogue à cette époque, est aux indiennes ou aux soieries exotiques, nous n’en trouvons nulle trace pour les robes de chambre du roi qui semble leur préférer les étoffes d’argent.

(Habit complet, habit de chasse, veste pour les petits voyages, surtout ou robe de chambre, chaque type de vêture choisie correspond à un moment imposé par l’usage ou par l’étiquette.)

(La quantité de vêtements du dessus commandés par la Garde-robe royale en 1772, est importante et permet le changement fréquent des tenues. Cette capacité de renouvellement participe pleinement à la démonstration du statut supérieur du souverain au sein de sa cour.)

Le luxe du vestiaire de Louis XV
La multiplication des pièces est une donnée essentielle pour l’étude du contenu de la garde-robe royale. Cependant, les formes du vêtement sont toujours assez semblables quelles que soient les occasions durant lesquelles il est porté. Dans leur coupe, un habit habillé et un habit-uniforme diffèrent peu. S’il s’agit de déterminer la destination de telle ou telle tenue, il faut se pencher sur d’autres éléments. De même, la forme d’une veste n’est pas révélatrice de sa richesse. Ainsi, c’est dans l’analyse de l’ornementation des vêtements, tels les boutons, les broderies, les motifs, ainsi que dans celle des étoffes et des coloris choisis, que se révèle particulièrement le luxe de l’apparence vestimentaire du souverain.

( Le terme d’étoffe façonnée correspond à une étoffe dans laquelle sont tissés des motifs.)

Galons, rubans, boutons, motifs et broderies peuvent être regroupés dans ce que nous appellerons l’ornementation. Leur rôle est généralement décoratif et souvent accessoire si nous considérons le vêtement d’un point de vue uniquement utilitaire, nécessaire à la pudeur et à la protection contre les intempéries. Intégrés dans un système de distinction et de concurrence aux signes de prestige, ils deviennent indispensables. Chaque ornement est utilisé selon l’événement durant lequel le vêtement est porté. Les sept mille boutons livrés sur l’année à la garde-robe royale illustrent bien cette fonction. Le bouton, qui devient dans le courant du XVIIIe siècle un véritable objet de luxe, a souvent un rôle purement décoratif. Ceux présents sur le devant de la veste sont utiles, ceux disposés tout le long de l’habit ou au milieu des poches ne le sont pas. Ils ne servent qu’à souligner les bordures et la richesse de la tenue. Ainsi, le bouton doit correspondre parfaitement à la destination du vêtement, à sa couleur, à ses broderies. Sur l’habit habillé du souverain, il est en forme de disque, recouvert de fils d’or, d’argent ou de soie et rebrodé. Pour les vestes de petits voyages, il est en soie de couleurs « très riches » et pour l’habit de chasse, en or, plus rond et plus simple. Ceux destinés aux culottes sont pour la plupart des petits boutons d’or guipés. Nous en recensons une trentaine de types différents qui tous correspondent à la hiérarchie des pièces vestimentaires, des plus luxueux comme ceux en or avec « des paillons roses et des paillettes vertes brodée en paillettes et bouillons très riches » destinés à un habit complet, à ceux à pois noirs pour les camisoles. Si les boutons se retrouvent sur tous les types de vêture, les broderies et les étoffes façonnées sont réservées à l’habit habillé, aux vestes de petits voyages et aux robes de chambre. Sur la totalité de ces vêtements, seulement 20 % sont décrits sans ces ornementations, principalement des vêtements de deuils. Les broderies se situent pour la moitié uniquement sur les vestes des habits complets et à 20 % sur les trois pièces. Les étoffes façonnées sont en grande majorité utilisées pour toutes les pièces d’un même habit. Généralement, une broderie réunit deux ou trois motifs différents et une étoffe en est souvent ornée d’un ou deux. Les accords de certains motifs pourraient aujourd’hui nous paraître pour le moins extravagants. Un habit complet est par exemple orné de « poids blancs nués, rayé en quinconce en vert, noir, cramoisi, mordoré et jaune ». Un autre est sur « un fond blanc à carreaux gris », orné de « petits pois verts et oranges ». Les pois, appelés aussi « ronds » ou « mouches » sont des motifs récurrents avec les raies et autres « colonnes ». Souvent mentionnées pour les étoffes façonnées, les rayures permettent de créer un contraste avec la couleur de fond du vêtement. Accompagné de fleurs ou de guirlandes, le trait est quant à lui, une des formes privilégiées en broderie, sa verticalité étant parfaite pour les bordures. L’association de motifs géométriques avec des guirlandes ou des bouquets caractérise la fin du règne de Louis XV. Le style rococo aux lignes courbes et fleuries des années Pompadour se confronte alors à une tendance au classicisme et à un intérêt pour l’antique. Cela se traduit dans la présence de lignes droites et épurées sur les habits habillés du souverain.
Les habits-uniformes, bien plus codifiés dans leur ornementation, échappent quant à eux à cette évolution. De chasse ou de résidence, ils ne sont ornés que de boutons et de galons. Ces derniers, réalisés en fil d’or ou d’argent, sont différents selon l’utilisation qui en est faite. Broché de clinquants et de festons pour Choisy, le galon est d’or et d’argent en tissu fin de vénerie pour la chasse au cerf et au sanglier. Pour celle du daim, il est en or et tissu fin à points de Hongrie. Ainsi, l’ornementation est présente sur toutes les vêtures du souverain, qu’elle soit étoffe façonnée pour habit habillé ou galons pour uniforme de chasse, qu’elle corresponde à la mode ou qu’elle soit fixée selon les normes de l’habit de résidence.

Le choix des étoffes et des coloris dans la garde-robe de Louis XV est déterminé de la même façon, par la nécessité du faste de la parure royale, d’une part, et par les règles imposées par la société curiale, d’autre part. Au XVIIIe siècle, le développement de l’industrie textile en France et en Europe, l’importation de tissus exotiques et la vogue des indiennes diversifient le choix des étoffes. Dans le vestiaire royal, le basin des Indes côtoie le taffetas d’Angleterre, le velours de Gênes et la toile de demi de Hollande. Au total, nous recensons une trentaine d’étoffes différentes dans les mémoires de factures acquittées des fournisseurs. Les soies, qui représentent en aunage, plus de 40 % de la totalité des tissus, en sont le principal type. Présentes sous douze appellations différentes et sur la quasi-totalité des vêtements, elles sont employées en tant qu’étoffe principale, en doublure ou sur les parements. Le velours de soie est le tissu par excellence de l’habit habillé. Il en existe plusieurs sortes, selon la longueur du poil et la présence de motifs. Les velours ras, frisés, miniatures ou de printemps à tous petits motifs colorés sont parfois remplacés par le sorbec, la lustrine ou la moire lorsqu’il s’agit d’habits complets. Les vestes, notamment celles de petits voyages et celles des habits de résidence de Choisy, sont confectionnées dans du satin ou du gros de Naples. Plus légères et plus souples que le velours, ces deux étoffes sont plus confortables à porter, surtout lors des déplacements de la cour. Nous trouvons enfin mention de camelot, de tricoté de soie, de gourgouran, ou encore de croisé. Le croisé de soie est la soierie la plus commandée sur l’année. Moins onéreux et surtout solide, il est utilisé en doublure pour les habits complets et les habits d’extérieur, les surtouts, les redingotes et quelques habits d’équipage de chasse.

(Le sorbec est une soie de couleur sur laquelle est cousu un trait d’or. La lustrine se caractérise par son aspect particulièrement brillant. La moire, quant à elle, se distingue par des motifs d’onde chatoyants.)
(Le camelot est ici une étoffe faite de laine mêlée de soie. Le gourgouran est une soierie proche du gros de Tours, venant des Indes. Enfin, le croisé de soie se définit par son mode tissage qui donne une étoffe aux fils très serrés.)
(L’espagnolette est un petit drap de laine assez fin, très apprécié au XVIIIe siècle.)

Types d’étoffes vendues en 1772 à la Garde-robe royale, en fonction de l’aunage.
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Les toiles, qu’elles soient de lin comme la batiste, le demi de Hollande et la toile de frise ou de coton comme la mousseline, servent principalement pour le linge et les doublures des habits de chasse. Seules quatre vestes, pour le tir, sont en coutil, une toile de lin très serrée. Une veste est en basin des Indes, étoffe de coton fine et blanche, recherchée à la fin du XVIIIe siècle pour les gilets masculins d’été. Le coton qui deviendra très à la mode dans les années 1780, est encore loin de surpasser la soie dans le vestiaire royal de 1772. Les lainages, enfin, sont les étoffes les moins présentes. Plus simples, moins luxueuses et moins fragiles que les autres, elles sont essentiellement utilisées pour confectionner les vêtements de chasse et les vêtements d’extérieur comme le surtout. Le drap double broché bleu est destiné aux habits d’équipage du cerf et du sanglier. Pour le daim, c’est le drap fin vert qui est employé, le même que celui des habits de résidence de Choisy. L’espagnolette est l’étoffe des redingotes et des manteaux. Pour l’habit de cour, la laine n’est admise, selon l’étiquette que si elle est brodée d’or ou d’argent. Dans ce cas, l’habit est dit demi-habillé. Nous ne relevons qu’un seul habit complet en laine. De drap violet, il est certainement destiné à être porté lors des premiers temps d’un deuil.

( Lorsqu’un décès intervient dans la famille du souverain ou dans une des maisons royales d’Europe, l’ensemble de la cour prend le deuil. Le roi détermine s’il s’agit d’un grand deuil ou d’un petit deuil et en fixe la durée. À Versailles, le grand deuil se prend généralement pour les parents, les grands-parents, l’épouse ainsi que pour les frères et sœurs du roi et les monarques étrangers. Le petit deuil est porté, notamment, lors du décès d’un enfant de France ou d’un parent plus éloigné.)

Le violet est la couleur réservée au roi lors d’un grand deuil, c’est-à-dire lorsqu’un décès survient dans son entourage proche. Pour les petits deuils, le roi est habillé de noir comme ses courtisans. En certaines occasions, les couleurs du vestiaire royal obéissent ainsi à l’étiquette. D’autres circonstances exigent le port de couleurs définies. Louis XV est vêtu systématiquement de vert à Choisy et à la chasse au daim, de bleu et d’écarlate pour les équipages du sanglier et du cerf. Les couleurs des vêtements, comme les étoffes et les ornementations, sont ainsi intégrées dans le système de distinction. Les progrès techniques réalisés en teinture permettent aux fabricants de proposer des étoffes aux teintes plus nuancées. D’une vingtaine de tons disponibles au Moyen-Age, les lissiers passent à quatorze mille au siècle des Lumières. La richesse et la variété des coloris rencontrées dans les mémoires illustrent le luxe des apparences royales. Nous y relevons plus d’une quarantaine de tons. Le vert est dit de Choisy, vert pomme ou vert près ; le gris peut être gris de perle ou gris de lin ; le bleu, céleste ou de roi. Cependant, quantifier les mentions de couleurs sur l’ensemble du corpus n’est pas représentatif de l’usage qui en est fait dans le vestiaire royal. Il s’agit plutôt de raisonner en fonction du type de pièces vestimentaires et de l’emplacement des couleurs sur le vêtement.

En ce qui concerne les fonds d’étoffes, le gris est très présent. La plupart des vêtements d’extérieur sont de cette couleur. Elle est aussi souvent employée pour le fond des habits complets, sur lequel sont disposés motifs et broderies multicolores. À la suite du gris, le vert est souvent mentionné, ce qui est dû en partie au fait qu’il est utilisé pour certains habits-uniformes. Il n’en demeure pas moins présent quelquefois sur le fond des habits complets, souvent marié à une autre couleur, or ou lilas par exemple. Le bleu est essentiellement cité pour les habits d’équipage du sanglier et du cerf. Il est associé au gris ou à l’argent sur un petit nombre d’habits et de vestes. L’argent et l’or sont principalement utilisés sur les vestes et les parements d’habits complets ; les rouges pour les vestes de promenade, l’équipage du sanglier, quelques culottes et un manteau, mais ils semblent moins courants sur les fonds des habits complets. L’emploi du noir est réservé aux habits de deuil, sauf peut-être pour les culottes qui, lorsqu’elles étaient de cette couleur, pouvaient être portées dans des circonstances moins formelles. Enfin, la couleur lilas est étonnamment présente comme fond d’habit habillé. Sur les trente habits complets du mémoire du tailleur, six ont un fond d’étoffe de cette couleur. C’est aussi une des seules mentionnées unies, pour un habit et une culotte de moire.

Couleurs des fonds d’étoffes fournis à la Garde-robe royale pour l’année 1772.
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Appréhender les couleurs du vestiaire royal sous un angle symbolique est un point délicat de notre étude. Le bleu est la couleur par excellence du roi de France. Elle est notamment celle du manteau fleurdelisé qu’il porte le jour du sacre. Associée au rouge et portée sur l’habit-uniforme, elle est indéniablement liée aux symboles de la royauté. En rappelant les couleurs de la maison militaire, ces deux teintes évoquent la puissance et la bravoure du souverain. Cependant, il nous semble trompeur d’aller plus loin dans ce type d’analyse. Les couleurs de la garde-robe de Louis XV correspondent à la mode masculine de l’époque, à celles que portent les courtisans à Versailles. Leur utilisation souligne le luxe de la parure royale plus qu’elle ne signifie le statut et les vertus du roi.

Dans les différentes couleurs employées pour les motifs, le vert se rencontre fréquemment, notamment pour les guirlandes, fleurs et petits bouquets. Avec le blanc et les teintes rouges et jaunes, il représente plus de 75 % des mentions. Ces couleurs très tranchées donnent une idée de l’éclat des étoffes de soie façonnées, d’autant que différents motifs de couleurs variées sont présents sur les vêtements. Les broderies, quant à elles, sont toutes réalisées, au moins en partie, avec des fils, des paillons et des paillettes d’or et d’argent, donnant ainsi, exposées à la lumière, un effet visuel scintillant. Elles sont souvent accompagnées d’autres teintes, bleu, rouge, rose ou vert comme pour cette broderie en bordure d’habit, à motif de fraisier, où les feuilles sont en paillons verts et les fraises en paillons cerise. Si une couleur est parfois mentionnée « nuée », c’est-à-dire en dégradé de la même teinte, elle peut tout de même se marier avec une couleur vive. Ces accords chamarrés peuvent paraître surprenants. Au début des années 1770, les teintes sourdes ou pastel du règne de Louis XVI ne constituent pas encore la mode dominante. Un habit complet mentionné dans le mémoire du tailleur Le Duc est à « fond blanc avec des pois blancs nués, et rayé en quinconce, en vert, noir, cramoisi, mordoré et jaune », soit cinq couleurs de rayures différentes. Il est ainsi très difficile de visualiser, de se rendre compte de l’apparence « en couleurs » de Louis XV, tant les teintes sont multiples. Le vestiaire royal pour l’année 1772 est donc multicolore, bien plus que ne le sont les habits du roi dans ses portraits officiels, tel celui peint par l’atelier de Van Loo en 1763 et qui privilégie le plus attendu et symbolique bleu de roi.

Du linge et des accessoires en quantité
La présentation du contenu de la garde-robe du souverain serait incomplète sans l’évocation du linge et des accessoires. Si ces éléments du vestiaire peuvent sembler secondaires au regard de l’habit habillé ou de l’uniforme, ils ont cependant un rôle primordial dans la constitution des apparences vestimentaires royales. Présents dans des quantités importantes, ils sont réalisés dans des matières rares et précieuses. La description et l’analyse des chemises, camisoles, jabots, manchettes et bas commandés, puis celle des principaux accessoires, chapeaux, gants, souliers ou bottes, mettent en évidence leur rôle dans l’élaboration des signes de distinction du monarque vis-à-vis de ses courtisans.

(L’étoffe la plus onéreuse du marchand de soieries Barbier, le lamé tout argent, vaut 120 livres l’aune. À titre de comparaison, Daniel Roche indique dans son ouvrage sur les apparences vestimentaires au XVIIe et XVIIIe siècle qu’un artisan urbain dépense en moyenne entre 130 et 140 livres par an pour sa garde-robe.)
(Mentionnée dans les mémoires de factures acquittées de la Garde-robe du roi pour 1772, la coiffe est un linge fin porté sous le bonnet de nuit. Dans le vestiaire masculin du XVIIIe siècle, elle peut aussi être portée sous les perruques ou en doublure pour les chapeaux.)

Dans le vestiaire masculin, les chemises, les camisoles, les bas, les caleçons ou encore les coiffes de nuit font partie du linge. Par extension, celui-ci comprend aussi les cols, les jabots et les manchettes. Depuis le début de la période moderne, le linge indique la propreté de la personne qui le porte. Il se doit d’être le plus blanc possible car on est persuadé que le blanc du tissu permet de retenir la transpiration, voire même de la faire disparaître. L’utilisation du linge remplace celle de l’eau : « c’est le linge qui lave » comme l’écrit Georges Vigarello. De part le coût du renouvellement et de l’entretien chez les blanchisseuses ou les empeseuses de dentelles, il devient bien vite un marqueur social, signe de prestige, reflet de la finesse et des bonnes manières. L’homme élégant se doit d’en posséder le plus possible et de le garder d’une blancheur immaculée. Le vestiaire de Louis XV n’échappe pas à cette règle et la garde-robe royale s’en fait livrer dans des quantités importantes. Elle se le procure, hormis les bas, auprès du marchand de toiles et de dentelles Vanot, dont le montant du mémoire de factures acquittées, près de 24 000 livres, est le plus élevé de tous les fournisseurs.
La chemise au XVIIIe siècle est relativement simple, prenant la forme d’un T.
Sur l’année, nous en relevons une soixantaine commandées, soit un rythme d’une chemise environ par semaine qu’elle soit ordinaire ou destinée à la chasse. Toutes sont confectionnées dans des toiles de lin très fines, frise ou demi de Hollande. À cela il faut ajouter la consommation de camisoles, « chemisette ou […] "petit vêtement, qu’on met entre la chemise et le pourpoint" ». Pièce dont la fonction est de tenir chaud, elle est coupée dans des tissus souvent plus denses : toile, flanelle ou satin. Sans ornement, la chemise protège la peau du vêtement du dessus et sert aussi de support aux jabots et aux manchettes. Ces éléments amovibles sont confectionnés dans une dentelle délicate et fragile et constituent la touche finale indispensable à toute tenue masculine élégante. En 1772, la Garde-robe royale commande vingt paires de manchettes de jour et autant de jabots, coupés dans les dentelles les plus précieuses, celles d’Argentan ou de Valenciennes. Onze paires sont réalisées en « collet d’Angleterre ». Le coût de cette dentelle, entre 240 et 380 livres l’aune, représente une somme considérable pour l’époque. Les pièces revêtues pour la nuit diffèrent peu, dans leurs formes, du linge porté le jour. Les vingt-quatre chemises de nuit sont coupées dans les mêmes toiles et sont accompagnées de jabots et de manchettes en dentelle. Seule la coiffe est un élément propre au vestiaire nocturne. Sur la vingtaine recensée, les deux tiers sont relativement simples, en toile de demi de Hollande. Les autres, plus luxueuses, sont réalisées en dentelle de Malines. Pour l’hiver, il arrive que les coiffes soient remplacées par des pièces plus chaudes. Le bonnetier Rouvierre fournit ainsi deux bonnets en vigogne, laine de l’animal péruvien, assez fine, utilisée généralement pour faire des chapeaux. Dernier élément vestimentaire compris dans le linge, les bas sont, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, généralement portés blancs, en soie ou en fil, et peuvent être chinés ou rayés selon les occasions. La consommation qu’en fait la Garde-robe royale est impressionnante. Sur l’année 1772, deux cent vingt-sept paires sont livrées, soit environ une paire de bas neufs tous les deux jours. Ceux en soie mélangée avec d’autres matières constituent près de 50 % des commandes. Tissés avec du coton ou du poil de lapin, ils sont d’usage en hiver. En soie et fil, ils sont portés durant les quartiers d’avril et de juillet. Les bas uniquement en soie sont plus luxueux. Noirs ou violets, ils sont commandés pour les deuils. Blancs ils sont d’utilisation plus courante. En hiver, les bas en laine et en duvet de cygne s’enfilent sous les souliers, ceux en fil et pieds en poil de lapin sont gris et destinés aux bottes.

À l’analyse du linge présent dans la garde-robe royale, il se dégage une certaine prise en compte du confort vestimentaire du souverain. À la protection contre le froid s’allie l’usage des toiles les plus fines. La multiplication de mêmes pièces indique, non seulement la richesse du vestiaire, mais aussi la faculté d’en changer souvent et donc le souci de l’hygiène corporelle. Luxe et propreté sont associés, le linge étant un élément de distinction de première importance.

Avec le linge et les dentelles, les accessoires, commandés en grand nombre par la Garde-robe, sont les pièces complémentaires des apparences vestimentaires de Louis XV. Au XVIIIe siècle, le luxe se fait discret dans ces éléments « secondaires » dont les formes sont d’ailleurs assez simples et peu nombreuses. Cuirs, fourrures et plumes en sont les matériaux privilégiés, peu de dorures et point de rubans, contrairement au siècle précédent. Dans le vestiaire du souverain, le castor est le chapeau le plus courant. Sur les cinquante cinq couvre-chefs recensés, plus de trente sont de ce type, réalisés en poils de castor. Essentiellement commandé pour la chasse, il est aussi porté pour la promenade ou fourni pour des deuils. Les éléments servant à orner les chapeaux sont livrés par le même marchand, Ruelle. Le bourdalou d’or, d’argent ou noir, sorte de tresse que l’on attache autour, est le plus courant. Les « panachers » ou plumassiers Lescuyer et Donnebecq, fournissent les plumets blancs. Pièces relativement onéreuses, ils devaient être portés sur les chapeaux les plus luxueux. La plus étonnante est un panache à deux rangs, contenant vingt-huit branches de plumes blanches pour une toque de cérémonie de l’ordre. Cette dernière était sans nul doute destinée au chapitre annuel de l’ordre du Saint-Esprit ainsi qu’aux cérémonies qui le suivent. Outre les chapeaux, nous trouvons de nombreuses paires de gants en fourrure, en cuir ou en soie. Cent cinquante-trois paires sont commandées en 1772, soit une paire neuve tous les deux ou trois jours. Les gants de daim, portés toute l’année et les gants blancs, pour le printemps et l’été, représentent à eux seuls 65 % de la consommation totale de cet accessoire. Nous en trouvons aussi en cuir pour la chasse tels les gants de Ségovie, des paires en poils de lapin et soie ou encore des gants fourrés de vigogne. Ces derniers, plus chauds sont destinés à être portés l’hiver tout comme le manchon, de forme étroite et longue, très à la mode dans la deuxième moitié du siècle, y compris pour les hommes. Louis XV n’en possède qu’en fourrures précieuses. Pour la chasse comme pour la promenade, les cinq manchons livrés sont en loup, en loup cervier ou en martre. Les soixante-seize paires de chaussures sont, comme les chapeaux et les gants, marquées par leur quantité. Le soulier, « ordinairement de cuir, qui couvre tout le pied, et qui s’attache par-dessus », est la forme la plus courante. Une quarantaine de paires sont livrées pour l’utilisation quotidienne, la promenade ou encore la chasse d’été. Sept paires d’escarpins, « souliers à simple semelle », plus fins et plus souples sont destinés à être portés à l’intérieur, notamment lors des bals. Les paires de mules, une petite trentaine sur l’année, enfilées lorsque le souverain revêt une robe de chambre, sont souvent accordées aux étoffes de soie de cette dernière et sont ornées de galons. Enfin, dix paires de bottes sont prévues pour les chasses. Sept sont décrites comme des bottes molles qui peuvent être fourrées. Les autres sont dites à la hussarde et doublées de toile.

Ainsi, dans la garde-robe de Louis XV, les accessoires n’en ont que le nom, et le rôle du linge ne se limite pas à protéger la peau des vêtements du dessus. Ils participent entièrement au prestige de l’apparence royale et au phénomène de distinction.

->Les mémoires de factures acquittées des fournisseurs de la Garde-robe royale fournissent un corpus documentaire inédit pour l’étude de la culture vestimentaire curiale à l’époque moderne. Enrichis par les écrits des contemporains et les recherches effectuées dans les domaines des Court studies et de l’histoire du costume, ils permettent d’appréhender les apparences vestimentaires du souverain, des différents types de vêture portés jusqu’à l’utilisation qui en est faite. À l’analyse de la composition de la garde-robe de Louis XV pour l’année 1772, une des premières constations est l’abondance des fournitures commandées. La consommation vestimentaire royale est impressionnante : une trentaine d’habits complets, une centaine de culottes, sept mille boutons, soixante chemises, deux cent vingt sept-paires de bas ou encore cent cinquante-trois paires de gants. Les pièces vestimentaires, l’ornementation et les accessoires sont tous déclinés dans les matières les plus nobles et les plus rares. Plus d’une cinquantaine de personnes, au sein du service de la Garde-robe ou dans le réseau des fournisseurs parisiens, contribuent à façonner pour le roi cette image d’exception. Le vestiaire royal répond ainsi à deux exigences, celles de l’ostentation et du luxe qui définissent le rang du souverain, ainsi que celle du respect du cérémonial de la vie de cour. Rien n’est laissé au hasard à Versailles, où tout est réglé et tout est symbole. Le faste de la parure, le nombre des pièces et leur diversité placent le souverain bien au-dessus de ses courtisans dans la concurrence aux signes de prestige.
Tous les ans, la totalité du contenu de sa garde-robe est réformée pour céder la place à la nouveauté. Les 125 946 livres dépensées par la Garde-robe royale en 1772 pour l’ensemble des fournitures, représentent neuf fois plus que ce que le duc de Penthièvre, prince du sang et un des hommes les plus fortunés de France, accorde à sa parure la même année !


Pour ceux qui veulent aller plus loin :
- voir le chapitre 7 de la thèse de Frédérique Leferme-Falguières, "Le monde des courtisans : la haute noblesse et le cérémonial royal aux XVIIe et XVIIIe siècles", disponible en consultation à l'université Panthéon-Sorbonne, section Histoire de l'Art, notamment p. 492-565.
- Voir sur les garde-robes royales à l’époque moderne : Centre de recherche du Château de Versailles et Institut de recherches historiques du Septentrion (Université de Lille3/CNRS)
- Corinne Thépaut-Cabasset, « Le service de la Garde-robe : une création de Louis XIV », dans Fastes de cour et cérémonies royales : le costume de cour en Europe, 1650-1800, dir. par Pierre Arizzoli-Clémentel et Pascale Gorguet Ballesteros, catalogue d’exposition (31 mars au 28 juin 2009, Château de Versailles), Paris, RMN et Versailles, Etablissement public du musée et du domaine national de Versailles, 2009, p. 28 à 33.
- La charge de grand maître de la Garde-robe reste dans la famille de La Rochefoucauld de 1672 à la fin de l’Ancien Régime. En 1772, la place est occupée, depuis quatorze ans, par Louis François Armand de La Roche Roye, duc d’Estissac (1695-1783), beau-fils du précédent grand maître, le duc Alexandre de La Rochefoucauld. Dans William Newton, La petite cour, Services et serviteurs à la cour de Versailles, Paris, Fayard, 2006, p. 80.
- Sur les offices de cour, divers ouvrages on été publiés au XVIIIe siècle, notamment L’État de la France, contenant les princes, le clergé, les ducs et pairs, les maréchaux de France et les grands officiers de la Couronne et de la Maison du roi… avec le nom des officiers de la Maison du roi, leurs fonctions, gages et privilèges…, 5 tomes en 6 volumes, Paris, Guillaume-Denis David, 1736.
- Sur la complexité de la gestion financière et de l’administration du vestiaire royal dans sa globalité, voir l’article de Pauline Lemaigre-Gaffier, « Administrer le vestiaire royal. Entre drap de Sedan et fleurs artificielles, les Menus-Plaisirs et le vêtement à la cour de France du XVIIIe siècle ».



->POUR INFO: Ces axes de recherche renvoient aux thématiques du programme Veticour,
« Se vêtir à la Cour de France et dans les cours européennes : usages, consommation, circulation (1650-1800) », au Centre de recherche du château de Versailles.
Ce programme de recherche développe la question des apparences vestimentaires, non seulement dans leurs relations avec le pouvoir, mais aussi du point de vue de la règle et de l’usage, des usagers au sein de la cour, de l’économie du paraître et de la transmission des modèles vestimentaires entre les cours.

Pour moi, c'est un réel plaisir de parcourir un tel mémoire... Mémoire de recherche en Master 2 : Le vêtement à la cour de Louis XV. 800254899
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Message par Invité Lun 25 Fév 2013 - 22:46

Effectivement c'est long mais normal pour un master .... merci pour le partage

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Message par A. de Kerfadec Lun 25 Fév 2013 - 22:55

Very Happy Et pourtant, j'ai essayé de faire court et concentré Very Happy
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Message par Clio Mar 26 Fév 2013 - 8:51

"Pour moi, c'est un réel plaisir de parcourir un tel mémoire..."

Pour moi aussi : un grand merci!
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